Assemblée Mondiale Same page in English Participer Calendrier Alliance Accueil Alliance Actualités Alliance Propositions Documents Alliance Contacts Réseaux socioprofessionnels Groupes Géoculturels Chantiers Thématiques Rencontres Continentales
logo globe     Caravane: Lettre de Liaison de l'Alliance pour un monde responsable et solidaire
Numéro 2 Décembre 1998

Sommaire
bulletCourrier des allié(e)s
bulletEditorial
bulletL'Alliance en Mouvement
bulletUne Alliance ? vue par...
bulletECONOMIE SOLIDAIRE
 · Avenir de la mondialisation
 · Nouveaux échanges
 · Investissement
 · Mouvements Citoyens
 · Informations sur le Chantier
 · Rencontre de Porto Alegre
 · Economie & femmes
bulletOasis de l'Alliance
bulletVILLES
bulletArtistes en Alliance
bulletL'Equipe
whitespace
bulletREJOIGNEZ CARAVANE
bulletRevenir aux DOCUMENTS DE L'ALLIANCE

Mondialisation et Alliance des Peuples

Vers une socio-économie solidaire
Cécile Sabourin* (Canada)

Traité par de multiples auteurs à travers le monde, le thème de l'économie solidaire passe presque inexorablement sous silence les spécificités du vécu des femmes. Sans être complètement occultée par ceux et celles qui voient dans l'économie solidaire une alternative aux pratiques économiques dominantes, la participation des femmes y est largement sous-évaluée et marginalisée. Je souhaite ici proposer aux lecteurs et lectrices des avenues de travail, de réflexion et d'échanges.

Revenir à une définition sensée de l'économie

L'urgence de revenir à une définition sensée de l'économie n'est pas qu'une question sémantique. C'est devenu une question vitale pour les sociétés humaines. L'excroissance de la portion marchande des activités économiques doublée de la croissance des activités purement financières a graduellement fait disparaître, dans l'acceptation générale du mot économie, tout un pan de l'agir humain. D'abord conçue comme l'ensemble des moyens dont se dote une société pour satisfaire ses besoins et ceux de ses membres et l'art de les bien gérer, le rétrécissement du champ de l'économie a suivi la construction de la discipline "scientifique" suivant des méthodes positivistes. Il en résulte présentement une domination du monétaire et l'occultation de multiples réalités vécues au quotidien, notamment celles des femmes et l'exploitation de la nature. Cela provoque au fil du temps l'intensification de la cupidité qui projette l'humanité dans la destruction.

Un point de vue de femmes ('féministe') sur l'économie a le mérite de nommer et de remettre au coeur des préoccupations des valeurs traditionnellement portées par des femmes et des réalités qu'elles sont plus nombreuses à vivre : la transmission et le maintien de la vie, la préservation et la restauration de la santé, l'éducation à devenir et à être une personne empreinte d'humanité...

Il est impossible de nier que toute activité humaine a une "contrepartie" économique au sens où elle se déploie au moyen de ressources matérielles, de temps de travail, de savoir et d'organisation. Néanmoins, les activités effectuées quotidiennement par des femmes ou des hommes qui n'impliquent pas de transactions monétaires sont graduellement devenues étrangères au monde rétréci de l'économie, niant du même coup les réalités concrètes. Il est pourtant simple de reconnaître les pratiques des femmes qui déploient toute leur débrouillardise pour apporter l'eau, la nourriture et les soins à leur famille comme des pratiques économiques et des exemples de solidarité au même titre que les voisin-e-s et ami-e-s qui s'entraident pour la garde d'enfants ou les réparations d'équipements défectueux.

Reconnaître l'apport des femmes

Dans ce contexte, l'urgence d'une redéfinition des préoccupations économiques non pas aux conditions du "monde économique" désincarné mais en reconnaissance de la pluralité des activités et comportements économiques des personnes peut-elle être questionnée? Je prends ici le parti qu'il n'y a pas d'autre issue raisonnable que celle de reconnaître la diversité des lieux et organisations où se produisent, s'échangent et se consomment biens et services et les conséquences humaines et environnementales de ces actions. Une vision reconnaissant l'apport des femmes dans la vie économique ne peut que soutenir un nouveau paradigme de l'économie prenant en compte les activités traditionnelles des femmes et les valeurs qu'elles ont, dans une plus grande proportion que les hommes, contribué à conserver vivantes. C'est en ce sens que j'aborde ici l'économie solidaire, du point de vue des femmes.

La solidarité fait référence à une responsabilité collective dans laquelle chacun se sent concerné pour l'ensemble. Il y a donc tout un programme social et politique dans une conception solidaire de l'économie. Pourtant, les modèles récemment proposés sous le vocable de l'économie solidaire font bien frileusement référence à l'ensemble des personnes actrices économiques et aux conditions qui permettent l'exercice de la solidarité dans les différents contextes sociaux et culturels.

Un programme social et politique

Les postulats de base associés à l'Homo Economicus et la logique d'action caractéristique de la sphère économique dominante ne sont nullement importunés par les appels au développement d'une économie solidaire conçue en marge des marchés, lesquels demeurent la voie privilégiée de la distribution à l'intérieur des sociétés. Dans le monde globalisé qui est proposé, l'emprise sur les échanges commerciaux continue d'ordonner la distribution et d'assurer l'enrichissement d'une infime proportion de la population, en laissant bien sûr aux plus fortunés le loisir d'être charitables. Les possédants, grands propriétaires et financiers s'accommodent très bien de la reconnaissance d'un tiers-secteur reconnu comme "nouveau lieu" de solidarité entre les exclus des marchés et/ou les chercheur-e-s d'alternatives. Plus proches des petites économies locales et artisanales, le tiers-secteur comble les vides laissés par les marchés globaux qui se confondent graduellement avec la grande économie internationale.

Parler d'économie solidaire implique selon moi d'aller beaucoup plus loin, c'est à dire de revenir à une définition sensée où les personnes -femmes, hommes et enfants- et la satisfaction de leurs besoins sont reconnus à part entière comme finalité du système économique. Les sociétés et leurs modes d'organisation pour satisfaire besoins individuels et besoins collectifs y sont mis à contribution non comme des moyens d'enrichissement mais comme des moyens de contribuer à la vie et au progrès de l'humanité. Produire, échanger, consommer tout comme travailler, gérer, épargner et investir sont au nombre des actes économiques inéluctables, cependant les manières de les faire en contexte d'économie solidaire défient les habitudes qui se sont installées dans la sphère marchande et qui, présentement, contaminent et intoxiquent tout l'agir humain.

Loin de moi ici l'idée de préciser en quoi doivent consister les modes d'organisation économique des diverses sociétés. Les contextes social, culturel, historique, environnemental de même que les savoirs et traditions participent à la définition des conditions de mise en oeuvre d'une économie solidaire englobant tous les aspects de la vie.

S'il est besoin de conceptualiser l'économie solidaire, c'est en prenant appui sur des pratiques existantes et en devenir et en reconnaissant des logiques d'action complémentaires, présentes dans différentes sociétés que nous y arriverons. J'ose envisager comme possible dans un proche avenir l'arrivée d'une économie solidaire où la présence, ou non, de transaction monétaire sera davantage liée à la mise en place de moyens nécessaires pour atteindre des finalités choisies. Ainsi, l'économie solidaire serait la somme de tous nos actes économiques empreints d'une "valeur dénominateur commun" où le choix de médiatiser les rapports par de l'argent sonnant ne serait plus imposé et discriminant. Construire une économie solidaire pourrait résulter d'un choix collectif où les possibilités de choix individuels seraient accessibles à tous et où les rapports interpersonnels et sociaux à l'intérieur desquels les activités économiques s'articulent prendraient tout leur sens. Car il est inutile de prétendre extraire l'économie de la vie quotidienne et des conditions environnementales sans risquer, comme c'est le cas maintenant, d'en faire une mythologie risible et sans être sûr de provoquer les graves conséquences humaines et environnementales actuellement observables dans tous les coins et recoins de la planète.

* Professeure à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Haut de page


© 2000 Alliance pour un monde responsable et solidaire. Tous droits réservés. Mise à jour le 24 mai 2000.