A l'invitation conjointe du Conseil Culturel du Liban Sud et de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme (FPH), s'est tenue à Beyrouth, du 3 au 5 décembre 1998, la Première rencontre culturelle arabe " Pour la libération arabe, la solidarité mondiale et le progrès de l'Homme ". Quarante penseurs, chercheurs, écrivains, poètes, représentants actifs d'organisations de la société civile provenant de plusieurs pays arabes (Syrie, Palestine, Jordanie, Irak, Koweït, Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite, Egypte, Soudan, Libye, Tunisie, Algérie, Yémen, Maroc et Bahreïn) ainsi qu'un grand nombre d'intellectuels libanais, ont participé aux travaux de cette rencontre axés autour d'un débat sur la Plate-forme pour un monde responsable et solidaire. Ils sont tombés d'accord pour rendre publique la déclaration suivante reproduite dans de nombreux journaux du monde arabe.

Le monde dans lequel nous vivons entre dans le troisième millénaire alors qu'une globalisation accélérée accentue les grands déséquilibres entre le Nord et le Sud, les riches et les pauvres, les êtres humains et la nature et vise à généraliser les vertus du marché et de la consommation. Ces déséquilibres, aux effets destructeurs, atteignent, à des degrés divers et sous des formes variées, tous les peuples de la terre et particulièrement ceux de la périphérie. Ils placent les sociétés face à des défis qui commandent leur devenir et auxquels elles doivent faire face pour faire triompher le droit de l'Humanité au progrès, au développement et pour le droit de l'Homme à la liberté et au bonheur.

Ces déséquilibres ont pour origine, essentiellement, l'évolution du système capitaliste qui a réalisé, tout au long du combat qu'il a livré à l'Humanité, des réalisations importantes tant dans les champs scientifique et technique que dans ceux de la liberté de la démocratie et des droits de l'Homme. Mais, ce système, tout autant par sa nature que ses contradictions, n'a pas mis -et ne se décide pas à mettre- les progrès scientifiques et techniques au service de l'Humanité. Il exploite les énergies humaines et épuise les ressources naturelles avec le risque de dysfonctionnement planétaire. Ce faisant, le système capitaliste invoque, indûment et de manière trompeuse, la légalité internationale et les droits de l'Homme pour nier leurs droits aux peuples et aux nations faibles qu'il assiège - entre autres, l'Irak et la Libye.

Comme l'ampleur des menaces portées par la mondialisation croît, incluant la planète entière et tous ceux qui l'habitent, les individus, les associations, les partis et la société civile doivent lui opposer une solidarité et une entraide sans faille comme ils doivent faire émerger une opinion publique active et efficace.

Le monde arabe, qui est fier de sa contribution à la civilisation humaine, comme d'autres peuples du reste, est victime de la marginalisation, de l'exploitation et de la prédation planifiées qu'exacerbent la globalisation et les politiques des pouvoirs arabes oppresseurs. Ainsi, les peuples arabes ne peuvent exercer leur droit à instaurer un Etat fondé sur le droit, la démocratie et la citoyenneté d'une part et, d'autre part, se voient nier leur droit de libérer de l'occupation israélienne leurs territoires tant en Palestine, au Liban, qu'en Syrie.

Nous, intellectuels arabes et animateurs dans les structures et organisations sociales, femmes et hommes, divers tant par nos opinions politiques que par nos idéologies, mais croyant aux valeurs de liberté, de justice et des droits de l'Homme et aspirant à un avenir meilleur non seulement pour nos peuples mais pour tous les peuples de la terre, proclamons notre solidarité avec tous nos semblables dans le monde ainsi que notre disposition à adhérer à une dynamique mondiale pour la libération arabe, la solidarité mondiale et le progrès de l'Homme et invitons, à partir d'ici (Beyrouth) tous les intellectuels et démocrates tant arabes que dans le monde entier à renforcer la coopération et la solidarité entre eux, par tous les moyens possibles :

• Pour la rédaction d'un projet de renouveau arabe, démocratique et humain dans son esprit et unitaire quant à son orientation ; projet de nature à mettre fin aux politiques de la dépendance, de l'oppression et à celles favorisant la croissance de la pauvreté, de la misère et de l'analphabétisme.

• Pour la libération des énergies populaires arabes et pour le renforcement de leur rôle dans l'édification de la société civile et de l'Etat moderne sur la base de l'équité, du droit à la justice sociale et des droits de l'Homme et dans le but de faire disparaître toute discrimination fondée sur le sexe, l'ethnie, la confession ou les opinions philosophiques ou politiques.

• Pour la libération complète des territoires arabes occupés par Israël : pour permettre au peuple palestinien de retourner sur sa terre et proclamer son Etat indépendant ; pour s'opposer à la " normalisation " sous tous ses aspects politiques, économiques et culturels ; pour élaborer une stratégie de paix allant de concert avec le projet de renouveau arabe.

• Pour l'humanisation de la civilisation contemporaine, la généralisation et l'enracinement de ses réalisations dans la société, la liberté et le développement indépendant afin d'arrêter l'hémorragie des ressources naturelles et l'exploitation des énergies humaines ainsi que pour assurer le renforcement de l'unité de la culture humaine dans le cadre de sa riche diversité.

• Pour l'avènement d'une nouvelle mondialisation, opposée à l'actuelle, rangeant sous sa bannière tous ceux qui souffrent des conséquences négatives des transformations en cours dans le monde, ainsi que tous ceux qui croient en la réhabilitation des valeurs morales, spirituelles et culturelles sur celles du marché et de la consommation et pour renforcer des rapports sains entre les êtres humains et la nature en vue de protéger l'environnement et préserver le droit des générations futures à tirer profit des ressources naturelles.

• Pour l'édification d'un monde responsable fondé sur la complémentarité entre les Etats et les peuples et imbu de l'esprit de coopération et de solidarité et dont les relations seront régies par les valeurs de démocratie et de progrès de l'Homme.

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Ce n'était pas facile de réaliser cette rencontre dans un monde arabe assez mouvementé, traversé par de nombreux problèmes, allant de la confrontation violente entre les différentes tendances religieuses et politiques à la résistance contre l'occupation israélienne, jusqu'aux conséquences dramatiques des problèmes socio-politiques tels que la pauvreté, l'analphabétisme, la discrimination de genre ou l'exclusion des minorités...

La rencontre a été conçue comme un dialogue ouvert sur des problèmes contemporains tels que posés par la Plate-forme pour un monde responsable et solidaire et des problèmes spécifiques aux réalités du monde arabe. Nous avons débattu des problèmes, élaboré des recommandations : tout cela a été reflété d'une façon ou d'une autre dans "la déclaration culturelle de Beyrouth". Ce qui n'a pas été reflété, c'est l'esprit positif qui régnait dans la rencontre, remarquable dès les premiers contacts. Tout le monde voulait participer aux travaux, faire des constats et avancer des recommandations. Bref, c'était trois jours pleins de travail et d'échanges, pleins d'espoir en un avenir meilleur.

Que faire après la rencontre pour investir cet esprit positif, cette volonté de travailler ? Quelles sont les priorités ? De mon côté, je propose quelques idées qu'il faudrait bien sûr discuter et développer :

• Encourager les partenaires potentiels à se relier à la dynamique de l'Alliance, en offrant par exemple : aux poètes et intellectuels de se relier au projet de bibliothèque interculturelle ; aux femmes de rejoindre le réseau Yin-Yang ; aux scientifiques de participer aux chantiers sur le sol, l'eau, l'environnement ; aux politiciens de contribuer à la réflexion sur la gouvernance. Ceci pourrait être appuyé par des visites sur place et de petites rencontres pour établir des réseaux différents.

• Elaborer une rencontre thématique sur le thème du masculin/féminin en 1999, que je propose de tenir en Egypte avec le Centre de Recherche Arabo-Africain, que préside Samir Amin.
• Organiser une autre rencontre pour les jeunes du monde arabe en l'an 2000, par exemple en Tunisie avec le Conseil arabe de la Recherche Sociologique, que l'on pourrait tenir sous la bannière du "Dialogue des Générations".

Fahima Charaf Eddine (Liban)
[E-mail: fahima@cyberia.net.lb]

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