Le réenchantement du Forum Social Mondial
Les réseaux des artistes en alliance
Hamilton Faria

Ils étaient plus de cent mille coeurs à battre très fort à Porto Alegre. Cent mille volontés qui se sont rencontrées pour créer un monde meilleur, un monde de toutes les couleurs, un monde où les âmes ne sont pas marchandisées, où au contraire elles s'enchantent de la joie et de la dignité d'une humanité différente. Le Forum Social Mondial a démontré, une fois de plus, qu'il s'agissait d'un lieu contondant et de forte portée politique en réunissant des coeurs et des esprits pour garantir le droit à la vie sur la planète. Mouvements sociaux, ONG, environnementalistes, artistes, religieux, sacrés et profanes, politiques, pacifistes, etc., se sont retrouvés là-bas pour débattre de thèmes allant "du rôle du mercure dans la routine quotidienne de l'odontologie" jusqu'au "rôle de l'écrivain dans le réenchantement du monde"; de la foi et de la politique jusqu'à l'économie solidaire; de la tolérance et de la diversité jusqu'à l'amour des animaux. Le spectre de la vie est très ample et ne se réduit pas à la politique ou à l'économie stricto sensu : c'est ce qu'a démontré le Forum Social Mondial. Cette année, face au conflit imminent des Etats-Unis contre l'Irak et la culture de la violence qui règne dans la vie quotidienne du monde, la paix a occupé le centre des mobilisations et des débats.

En comparaison avec le Forum de l'année passé, selon ce qui a été affirmé lors de la réunion d'évaluation convoquée par le Réseau Mondial des Artistes de l'Alliance, la qualité des participants s'est améliorée : moins d'enthousiasme mais une plus grande profondeur de réflexions. Peut-être même moins de rêves, mais une plus grande créativité avec les pieds sur terre. Par ailleurs, le FSM a été beaucoup plus dispersé et désorganisé qu'en 2002.

Cependant, il est encore très jeune pour abriter toute la diversité de la planète et le large spectre des groupes culturels qui croient en un monde meilleur. Le FSM est par essence encore trop euro-américain : ils manquent de nombreuses représentations d'Asie, d'Afrique, d'Océanie, des peuples indigènes et noirs et de toutes les diasporas de la planète. Malgré cela, le FSM de cette année a semblé plus représentatif même si moins articulé.

L'Alliance pour un Monde Responsable, Pluriel et Solidaire a mené une activité visible et notable – lors des conférences, des panels, des séminaires, des ateliers et des activités de rue. A chaque page du programme l'Alliance apparaissait en divers langues, Réseau des Artistes, Tambours de la paix, débats de rue, etc.

Les stands oint diffusé les matériaux de l'Alliance ( Fondation Charles Léopold Mayer,
Pólis, etc. ) et ont également permis une meilleure visibilité des propositions.
Le Réseau Mondial des Artistes a participé activement à la conception de la partie culturelle du Forum Social Mondial. Depuis mi 2002 nous participons aux réunions du GT-culture à Rio et à Sao. Paulo. Notre idée consiste à générer un large espace pour la culture au FSM, au-delà même des activités artistiques et des performances déjà connues. Il s'agit de pénétrer le domaine des valeurs, du "que faire" culturel, en entendant le mot culture dans son acceptation large intégrant les oeuvres d'art, les humanités et les oeuvres de l'imaginaire. Nous pensions également que le Forum devait parler au nom des gens, et pas seulement en son nom propre, dans une interaction pédagogique et artistique avec les personnes de la rue. Ainsi ont été réalisées des activités d'ateliers et de conférences, des témoignages et des panels; des présentations artistiques : le musée de la diversité, mémoire instantanée et dimanche de rue. Pour réaliser cela des dizaines d'entités, de réseaux et de forums se sont impliqués dans cette organisation. Les résultats ont été : des centaines d'activités artistiques, des centaines d'ateliers culturels, la réalisation de vidéos sur la “mémoire instantanée”, des activités du musée vivant de la diversité, parmi lesquelles le drapeau des drapeaux, les débats en 7 lieux de la ville de Porto Alegre avec la participation de la population sur le thème "¿Quel monde voulons-nous?", Voix et Tambours pour la Paix qui ont ébloui l'assistance au Marché Municipal au début de la manifestation d'ouverture du Forum.

Cette année les ateliers se sont multipliés, alors qu'ils n'atteignaient qu'à peine une demi-douzaine l'année dernière, organisés, pour la plupart, par le Réseau des Artistes de l'Alliance. Un point à noter dans l'édition 2003 a été la présence active de la culture dans tous les espaces du forum.

Le Réseau des Artistes a participé cette année aux ateliers suivants : Identité, Afrodescendances et Moyens de Communication ; Politiques d'inclusion sociale et demandes des mouvements ; antiracisme et construction de l'identité nationale ; "Pourquoi écrire : le rôle de l'écrivain dans le réenchantement du monde; art, inclusion sociale et culture de paix" ; Ronde de lecture sur la (in)tolérance et l'identité ; "Comment se voient les jeunes à la télé". Tous ces ateliers ont réuni environ 1000 personnes.

Dans l'évaluation que nous avons réalisée, nous concluons qu'il y a eut une amélioration qualitative des ateliers. Cependant il faudrait davantage utiliser le langage non verbal : le ludique (par exemple en deux ateliers, un artistes avec une poupée a impliqué le public dans des débats, dans deux autres ateliers nous avons réalisé des manifestations pour le réenchantement du monde), la transgression des modèles académiques. Il faut être plus souple et mieux combiner le rationnel avec le rêve et le désir.

Dans la pratique, tous les ateliers que nous avons organisés et ceux où nous avons participé se sont transformés en manifestations artistico-culturelles pour le réenchantement.

Il est important de rappeler, de plus, que le réenchantement a fait resurgir de nombreux sentiments dans ce forum –depuis la manifestation de rue avec les chorales jusqu'aux ateliers. Le réenchantement est impalpable, il habite davantage les territoires de l'utopie que la politique concrète du monde réel, mais les gens nous embrassent, sont émus, applaudissent, vibrent, nous remercient de faire ressurgir des sentiments éteints mais qui sont également dans un processus de renaissance.

Dans ce sens, la présence de l'Ambassade Musicale Andine a été notoire, réenchantant les scènes où elle se présentait.

Il est difficile d'avoir une vision globale du forum –étant donné le nombre de participants, la dispersion et la désorganisation. Nous regardons toujours les événements depuis un certain angle de vue, mais l'ensemble des contributions de l'Alliance nous donne peut-être une vision de la totalité par le fait que nous étions très actifs et que nous apportions toutes nos réflexions et nos expériences accumulées. L'Alliance montre toujours davantage qu'elle constitue une proposition innovante, créatrice et véritablement plurielle par l'ensemble des insertions réalisées durant le FSM.

Maintenant c'est le tour de l'Inde, et il est fondamental pour la vie du Forum de sortir de Porto Alegre et de s'immerger dans d'autres contextes de civilisation. En Inde nous devrons reprendre les dialogues interculturels, les méditations ou les cérémonies de rue, les manifestations silencieuses pour la paix (que pensez-vous des Tambours du Silence pour la Paix ?), le dialogue inter-religieux, la culture de la Paix (nous pourrions organiser un atelier sur ce thème) et surtout apprendre de l'Inde (les participants de l'Alliance ne devraient pas trop se braquer sur les ateliers, les panels, etc., mais se tourner davantage vers la population, réaliser des visites, des caravanes, etc., et apprendre avec l'Inde elle-même). Nous aurons beaucoup à apprendre pour construire un monde responsable, pluriel et solidaire.

Maintenant c'est au tour de l'Inde, à cette civilisation millénaire, au rêve de Krishna de peupler nos imaginaires, à la mansuétude du Ganges de baigner les voix du futur, de réveiller la politique à l'esprit du monde, au coeur généreux des gourous de répandre l'amour sur la planète, la vie simple et l'élévation de la pensée, comme le grand message de l'Inde antique, à Makarand, à Siddhartha et à nous autres en arrivant là-bas d'apprendre à vivre chaque fois plus, et toujours.