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Les alliés dans le monde aujourd’hui
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Un bref historique de l’Alliance

par Pierre Calame -

Avertissement

1986 - 2001 Cet historique de l’Alliance couvre près de quinze ans et deux périodes : la période 1986-1993 qui a précédé la naissance de l’Alliance et 1994-2001 qui constitue le premier cycle de son existence. Une Alliance est faite d’initiatives multiples et chaque allié a sa propre histoire. Il ne s’agit donc ici que d’une chronique donnant les balises de ce qui a conduit aux textes, méthodes, modes d’organisation et événements qui ont progressivement constitué la colonne vertébrale de l’Alliance telle qu’on peut la découvrir par exemple sur le site Web.

1986 La naissance et les premiers pas du Groupe de Vezelay

Création du " Groupe de Vezelay " réunissant huit intellectuels francophones (Michel et Calliope Beaud - France ; Larbi Bouguerra - Tunisie ; Pierre Calame - France ; Venant Cauchy - Canada ; Maurice Cosandey - Suisse ; Joseph Ki-Zerbo - Burkina Faso ; René Loubert - France) désireux de mettre ensemble leurs efforts pour comprendre les risques technologiques majeurs. La FPH (Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme) soutient l’initiative et met à disposition un budget pour financer des travaux d’experts.

Quatre travaux d’experts sont lancés : sur l’évolution de la haute atmosphère (Gérald Mégie), le risque nucléaire civil (André Dagenbass), les biotechnologies (Marcel Blanc), et l’absence de maîtrise des évolutions technologiques (Robert Clark).

1987 Les premières conclusions : l’ampleur des mutations qui attendent nos sociétés

Le Groupe écrit un premier texte collectif. Il met en évidence l’ampleur des mutations nécessaires pour faire face à des risques de déséquilibres considérables et de nature nouvelle. Ces mutations nécessaires ne sont pas seulement techniques ou économiques. Elles concernent aussi les valeurs, le droit, la politique, l’éducation... Les modalités classiques de régulation de nos sociétés ne suffisent pas pour conduire ces mutations.

1988 L’appel pour des Etats généraux de la Planète

Le Groupe lance " l’appel pour les Etats Généraux de la Planète ". Selon lui il faudrait, à l’échelle de la planète, une démarche semblable à celle qu’a connue la France à la veille de la grande révolution de 1789 : une démarche " de bas en haut " qui permette aux différents milieux de confronter avec les autres leurs analyses et leurs perspectives. Cette idée d’Etats généraux est à l’origine de l’Alliance.

1988-1990 Les risques d’un nouvel impérialisme

Un ensemble de contacts et de rencontres avec différents milieux : scientifiques, journalistes, responsables d’entreprises, dialogues Nord Sud... sont menés au moment où commence à se préparer le sommet de la Terre de Rio (tenu en juin 1992). Ils conduisent le Groupe à préciser sa vision :
- Ils confirment le caractère " systémique " des mutations à concevoir ; chaque milieu tend à considérer que la solution n’est pas en lui-même mais chez les autres ;
- ils font apparaître les risques du discours sur le " village global". Ce discours peut être interprété par les grands pays du Sud, la Chine, l’Inde, le Brésil, par exemple, comme une volonté des pays du Nord de freiner leur développement sans pour autant se remettre eux-mêmes en cause ;
- ils révèlent l’absence de consensus sur la hiérarchie des risques et sur les priorités. Dans les pays pauvres le discours sur la préservation des générations futures, surtout quand ce discours est émis par les pays riches, n’est pas recevable quand, eux, ont le sentiment de lutter pour leur survie ;
- ils convainquent le Groupe, enfin, que le " sommet de la Terre " ne sera pas les Etats généraux de la Planète qu’il appelle de ses vœux. Aussi le Groupe décide-t-il de poursuivre son approfondissement de l’idée d’Etats généraux en en élaborant le cahier des charges. La FPH décide de continuer à l’appuyer.

1990 Des diversités à l’unité : les " trois voies "

Les analyses des années précédentes ont montré que le discours sur les interdépendances mondiales (qui met en avant le principe d’unité) devait être complété par la reconnaissance de la diversité des situations, des perceptions, et des points de vue. Comment exprimer cette diversité ? Il y en a en réalité plusieurs : la diversité des contextes et des civilisations ; la diversité des milieux sociaux et professionnels qui créé autant de situations objectives et de points de vue sur le monde ; la diversité des défis thématiques et des domaines dans lesquels des mutations sont à envisager. Pour prendre en compte cette pluralité des diversités le groupe de Vézelay avance un principe d’organisation : les Etats généraux devront être préparés selon trois voies convergentes. La voie " géoculturelle " reflétera la diversité des contextes et des civilisations ; la voie " collégiale " reflétera la diversité des milieux sociaux et professionnels ; la voie " thématique " reflétera la diversité des défis.

1991 Les douze travaux du Groupe de Vézelay

Comment donner à voir les mutations à préparer ? Comment identifier les défis et élaborer les premières perspectives ? Conscient de l’énormité de la tâche le groupe de Vézelay énonce un premier programme de travail intitulé " les douze travaux du groupe de Vézelay " (par analogie avec les " douze travaux d’Hercule " de la mythologie grecque, synonymes de tâches immenses et presque insurmontables). Ces douze travaux vont de l’évolution des valeurs à la conversion de l’armement, de la recherche d’une agriculture durable à une nouvelle politique énergétique.

Le Groupe de Vézelay a conscience qu’il n’est pas de taille à entreprendre la préparation de tels " Etats généraux de la Planète ". Certains membres du Groupe souhaiteraient rester un groupe de réflexion, une conscience morale capable par ses prises de parole d’être un "éveilleur" de conscience. D’autres estiment qu’il faut transformer le Groupe pour assumer cette idée " d’Etats généraux " puisque sa nécessité s’impose. Compromis entre ces deux tendances, le Groupe décide de rester uni jusqu’à la tenue d’une " convention préparatoire aux Etats généraux " qui élaborera une Plate-forme commune.

1992-1993 Les étapes préalables de la Convention préparatoire aux Etats généraux

Pour préparer cette convention, le Groupe de Vézelay prend une initiative sur chacune des " voies " de préparation des Etats généraux.
- Il suscite sept rencontres continentales de vingt à trente personnes chacune : Asie du Sud, Chine, Pays Arabes, Afrique Sub Saharienne, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe de l’Ouest et de l’Est ;
- il organise quelques " rencontres collégiales ", en particulier une rencontre syndicale internationale ;
- il donne une série de mandats d’étude sur certains des " douze travaux " : les valeurs, l’énergie, la conversion des industries d’armement, l’écologie industrielle, le fonctionnement des marchés financiers.

L’effort de ces années permet de vérifier que, malgré des différences de situation considérables du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, des éléments communs se dégagent : la conscience des impasses du modèle actuel de développement et le sentiment d’impuissance de chacun face à l’ampleur des défis.
Il conduit aussi à un élargissement considérable de l’ambition. En 1986, la réflexion du Groupe de Vezelay était partie de la question, bien délimitée, des risques technologiques majeurs. Mais les pays les plus pauvres ont d’autres préoccupations, plus urgentes. Les Etats généraux doivent donc embrasser plus large, aborder l’ensemble des défis des sociétés contemporaines.
L’esquisse de Plate-forme élaborée en 1993 est le reflet de cet élargissement. Le Groupe prend progressivement conscience que les problèmes du monde contemporain sont liés entre eux et renvoient à une triple crise des relations entre les êtres humains - dont l’exclusion sociale, même dans les pays riches, est le symptôme- ; relations entre les sociétés - dont la répartition de plus en plus inégale des richesses est le symptôme- ; relations entre l’humanité et la biosphère - dont les crises environnementales et le changement climatique sont le symptômes.

Septembre 1993 La " Convention préparatoire aux Etats généraux de la Planète "

Tenue en région parisienne en Septembre 1993, la convention est la charnière entre les deux époques. Elle réunit quatre vingt personnes de cinquante pays et se tient en quatre langues : Chinois, Espagnol, Anglais, Français. Le projet de la Plate-forme pour un monde responsable et solidaire fait l’objet de nombreux amendements.
C’est aussi la fin du Groupe de Vézelay : l’étape qui s’ouvre, celle de la préparation des Etats généraux, appelle un autre mode d’organisation qui reste à inventer.

1993 L’approbation de la plate-forme pour un monde responsable et solidaire

La plate-forme a été amendée et, à l’issue de plusieurs allers et retours, approuvée par la grande majorité des participants de la Convention préparatoire. Ecrite originellement en français, elle est traduite en anglais et en espagnol et commence a être diffusée au niveau international notamment aux réseaux de partenaires de la FPH, avec invitation à la signer. Après la dissolution du Groupe de Vézelay c’est en effet la FPH qui se trouve en première ligne pour les suites à donner à la Convention.

1994 La diffusion de la plate-forme et ses conséquences

Très vite, la plate-forme reçoit un bon accueil. La décision d’une revue française bien connue, le Monde Diplomatique, de la publier intégralement, suivie de revues en Arabe, Néerlandais, et Italien lui donne un écho imprévu. Très vite elle est traduite en une dizaine de langues : Chinois, Russe, Portugais, Polonais etc. Cette notoriété est d ’abord le signe que la Plate-forme vient à son heure ; ce n’est pas son originalité qui fait son intérêt mais le fait qu’elle exprime des sentiments et des inquiétudes partagés par beaucoup de milieux et beaucoup de sociétés, qu’elle relie des faits et des idées souvent éparpillés. C’est aussi qu’elle ose parler de valeurs communes et qu’elle propose de déboucher sur une stratégie d’ensemble ; elle ne veut pas s’en tenir à la dénonciation et à la résistance, elle affirme haut et fort la nécessité de bâtir des alternatives. Prenant acte de l’impuissance des grands acteurs économiques et politiques à initier les grandes mutations indispensables, elle conclut inévitablement à ce que nous appellerons plus tard le " devoir d’ambition de la société civile " : c’est à cette société civile mondiale, encore à inventer de s’organiser pour prendre les initiatives nécessaires. Du sentiment d’impuissance des simples citoyens au constat d’impuissance des grands acteurs économiques découle un regard particulier sur le pouvoir : s’il est vrai que le véritable pouvoir et la véritable démocratie seraient ce qui permet à notre humanité d’orienter son destin ou, plus simplement, d’assurer sa pérennité, alors ce qui manque le plus aujourd’hui c’est de pouvoir le faire : le pouvoir est moins " à prendre " qu’ " à créer ".

1994 La naissance de l’Alliance

L’internationalisation de la diffusion de la Plate-forme a aussi d’autres conséquences majeures.
Conséquence, d’abord, sur les mots employés. La Plate-forme se conclut par un appel aux Etats généraux de la Planète. Très vite cette expression se révèle intraduisible : elle renvoie à l’histoire de France et n’est connue, tout au plus, que de l’ère culturelle francophone. Pour aller au delà il faut utiliser d’autres termes, renvoyant à un autre imaginaire. C’est le terme de " préparation de l’Assemblée des Citoyens de la Terre " qui s’impose. L’accent mis sur la préparation dit bien qu’il s’agit d’un processus et non d’un événement. Le terme " Assemblée des Citoyens de la Terre " cherche à rendre compte de l’ambition : il s’agit d’une assemblée, pour débattre et dégager des perspectives d’avenir ; elle symbolise la diversité des Citoyens de la Terre, diversité des origines géographiques et diversité des milieux.
Conséquence, ensuite sur les modes d’organisation. Pour être cohérents avec la nécessité proclamée de surmonter le sentiment d’impuissance, nous devons aller au delà d’un recueil de signatures sur la Plate-forme et proposer un mode d’organisation qui permette cette préparation de l’Assemblée des Citoyens de la Terre. La FPH propose alors l’idée d’Alliance. Il s’agit bien, en effet, de mettre en convergence des idées, des personnes et des mouvements qui se reconnaissent dans des interrogations, des valeurs et quelques perspectives communes et non de créer une nouvelle organisation qui aurait son identité définie contre d’autres identités. Cette conviction qu’il faut une approche radicalement nouvelle, qu’il faut inventer des manières de relier les personnes, les mouvements et les idées plutôt que de créer une institution avec ses statuts et ses organes de décision est décisive pour toute la suite ; elle en détermine à la fois les forces et les faiblesses.

1994 Les principes d’organisation de l’Alliance : " le livret bleu "

Jusqu’à l’été 1994, c’est la Plate-forme qui circule et recueille des signatures. A partir de la fin de 1994, la Plate-forme est surtout diffusée enchâssée dans un petit livret bleu qui présente non plus la Plate-forme mais l’Alliance. La Plate-forme y apparaît comme le point de départ, le signe de ralliement de personnes et de mouvements désireux de s’allier pour se renforcer mutuellement et bâtir des perspectives communes. Mais quels seront les principes d’organisation de l’Alliance si elle n’a pas de consistance juridique, pas de personnalité morale, pas d’organes formels de direction ?

Le " livret bleu " apporte les premières réponses à des questions qui continueront à traverser toute la vie de l’Alliance. Il dit d’abord que " l’Alliance n’a pas de porte ". Nous voulons dire par là qu’elle n’a pas de contour rigide, qu’il n’y a pas " ceux qui sont à l’intérieur " et " ceux qui sont à l’extérieur ". L’alliance, c’est une idée qui fait son chemin, qui s’invente en marchant, qui agit comme un champ magnétique pour canaliser les énergies.

Le livret bleu dit encore que l’Alliance se caractérise par son mode d’organisation. L’intuition est, ici, que l’on peut parvenir à une efficacité collective sans créer des institutions formelles, à condition d’adopter des méthodes adaptées aux buts poursuivis. Reprenant les idées élaborées de 1990 à 1993, la FPH propose que l’Alliance s’organise autour de trois voies et d’un calendrier commun. Les trois voies sont naturellement la " voie géoculturelle " (diversité des contextes et des civilisations), la " voie collégiale " (diversité des milieux sociaux et professionnels) et la " voie thématique " (diversité des défis). Chacune des voies appelle des modalités propres de travail en réseau. La " voie géoculturelle " donne naissance à des " groupes locaux " qui partent de leur contexte spécifique pour élaborer des perspectives ; la " voie collégiale " donne naissance à des " collèges " qui réunissent des personnes d’un même milieu social ou professionnel pour construire un point de vue collectif de ce milieu sur les défis du 21ème siècle ; la " voie thématique " à des " chantiers thématiques " prenant en charge la réflexion sur un défi donné.
Quant au calendrier commun, c’est bien entendu celui de la préparation de cette " Assemblée de Citoyens de la Terre " dont il reste encore à préciser les contours, les objectifs, le contenu et la date (on parle à l’époque de 1999 mais c’est en tout cas " au tournant du 21ème siècle ").
De nouveaux défis organisationnels se profilent alors à l’horizon : comment doivent s’organiser ces groupes locaux, collèges et chantiers ? qui réunissent-ils ? pour produire quoi ? avec qui ? qui peut les animer ? comment les financer ? etc.

1994 La première définition des alliés

Une Alliance réunit des alliés. Mais ces alliés qui sont-ils ? et quels sont leur droits et devoirs vis à vis de l’Alliance et les uns vis à vis des autres ? comment peut-on à la fois dire que " l’Alliance n’a pas de porte " et parler " d’alliés " - ce qui implique de dire ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas ? s’il s’agit d’une Alliance comment sont reliés entre eux ces groupes locaux, collèges et chantiers qui vont en principe se multiplier ? Ces questions, elles aussi, vont traverser toute l’histoire de l’Alliance.
En 1994, nous proposons deux règles simples.
- Première règle : l’Alliance est une alliance entre des personnes et entre des mouvements. Il y a des " alliés individuels " et des " alliés collectifs ". Il faut privilégier l’Alliance entre des mouvements mais sans exclure les implications individuelles.
- Seconde règle : un allié est une personne ou un mouvement qui " signe la Plate-forme " (c’est à dire qui se reconnaît dans ses grandes lignes) et qui est disposé à participer au travail collectif de l’Alliance, en diffusant (et éventuellement traduisant) la Plate-forme ou en " s’inscrivant " à un ou plusieurs espaces de travail collectif existant ou encore à créer - groupe local, collège, chantier.

C’est cette définition de l’Allié qui, jusqu’en 1999, servira de base à " l’annuaire des alliés". Cet annuaire, en effet, s’avère dès l’origine indispensable vis-à-vis du public pour qui une alliance se définit moins par des idées et des méthodes que par les personnes qui y sont impliquées, vis-à-vis des alliés pour leur permettre de se relier les uns aux autres. Mais cette définition stricte des alliés a aussi des inconvénients. Elle fait fuir certains signataires de la Plate-forme qui ont le sentiment, en répondant à un questionnaire sur leurs souhaits de participation à un travail collectif, de se trouver " enrégimentés ". Elle pose problème pour certains milieux et certains pays. Si les militants associatifs ou les universitaires, par exemple, sont habitués à signer manifestes et pétitions, il n’en va pas de même pour les chefs ou les cadres d’entreprises, les financiers ou les responsables politiques. Dans certains pays, encore marqués par des régimes autoritaires, la signature d’une Plate-forme peut être interprétée comme une allégeance à un mouvement étranger. Enfin, les " groupes locaux ", " collèges " et " chantiers thématiques " réunissent des militants et des experts qui ne sont pas nécessairement des alliés. Ainsi, dès l’origine, la liste des alliés n’est pas le reflet fidèle de l’Alliance. Il y a d’un côté " l’annuaire des alliés " qui forme l’armature de l’Alliance " officielle " et de l’autre la " mouvance de l’alliance " qui réunit tous ceux, alliés ou non, qui y trouvent un espace de travail en réseau. Ses contours sont flous et mouvants. Cette ambiguïté est inhérente à l’Alliance. C’est la contrepartie de son côté novateur.

1995 L’Alliance, mouvement social ou espace de travail ?

Au printemps 1995 a lieu une première rencontre d’alliés européens francophones. Elle réunit près de Paris une soixantaine de participants. Organisée par un groupe de jeunes de l’Alliance, elle s’avère plus conflictuelle que prévu : au fil des discussions une ligne de fracture se dessine, que l’on retrouvera à plusieurs reprises dans les années suivantes. D’un côté, il y a les alliés qui reportent sur cette dynamique nouvelle des espérances qui déçues dans les mouvements politiques ou même associatifs. Pour eux, l’Alliance doit se caractériser par sa capacité à se manifester et à interpeller. Pour d’autres, au contraire, l’Alliance est avant tout un espace de travail collectif, caractérisé par le sérieux des analyses et des propositions. Les premiers seront dans l’avenir plus sensibles à la voie géoculturelle de l’Alliance, à des groupes locaux où les personnes se reconnaissent dans une attitude militante. Les seconds seront plus à l’aise dans les chantiers thématiques.

1995 Structuration de la voie sectorielle de l’Alliance

Jusqu’à l’automne 1995, les thèmes de travail de l’Alliance sont définis à la fois par la plate-forme pour un monde responsable et solidaire et par ce que nous avions appelé au début des années 1990 "les douze travaux du Groupe de Vézelay". La plate-forme, mettait en évidence cinq "programmes mobilisateurs" : l’eau, l’énergie, les sols, la conversion des régions fortement dégradées et la conversion des industries d’armement. C’est sur cette base hybride que la FPH avait lancé les questionnaires invitant de futurs alliés à venir participer au travail collectif. Mai en 1995, ce n’est plus suffisant pour traduire l’idée majeure de la plate-forme selon laquelle les mutations à venir seraient "frontales", concerneraient les domaines de l’activité humaine. Le besoin se fait donc sentir de désigner les domaines en question et d’en construire un panorama plus systématique.

Ce travail est mené pendant le second semestre 1995 et donne naissance en janvier 1996 à une proposition d’ensemble intitulée "la voie sectorielle de l’Alliance". Pendant trois ans c’est ce document qui servira de référence courante pour engager les chantiers thématiques.

Ce volontarisme dans le lancement des chantiers est également symptomatique d’un autre souci qui jouera un grand rôle dans les étapes suivantes : celui de refléter le moins mal possible la diversité réelle de nos sociétés donc d’aller au devant des régions manquantes, des collèges manquants et des chantiers thématiques manquants. Cet effort constitue une autre source de tension entre les alliés : entre ceux, plus proches de la thèse du mouvement social, qui ont à cœur de laisser l’Alliance se développer spontanément et ceux qui font observer au contraire que ce mouvement spontané conduirait, en raison des conditions de naissance de l’Alliance, à une coalition d’organisations non gouvernementales et d’intellectuels presque exclusivement francophones ou hispanophones.

1995 La charte de la Terre

La Plate-forme met l’accent sur un ensemble de principes communs. Depuis la première rencontre intergouvernementale sur l’environnement, à Stockholm en 1972, l’idée cheminait d’une "charte de la Terre" qui pourrait donner un fondement éthique et juridique international à la préservation de la planète. A l’occasion du Sommet de la terre, à Rio, en 1992, de nombreux projets de Charte ont été élaborés. Ses organisateurs espéraient que le Sommet serait l’occasion pour les chefs d’Etat d’approuver une telle charte de la Terre, qui deviendrait le "troisième pilier" de la communauté mondiale, à côté de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et de la Charte des Nations Unies. Cet espoir a été déçu. Maurice Strong, principal organisateur du sommet de Rio, en a repris l’idée en 1994 dans le cadre du Conseil de la Terre qu’il vient de créer. Elle correspond tout à fait à l’intuition de l’Alliance qu’il faut bâtir un socle éthique commun. L’élaboration de ce "troisième pilier" devient une des ambitions de l’Alliance. Un travail interculturel est entrepris pour le concevoir. Ce n’était en 1995 qu’un chantier parmi d’autres mais il a été progressivement approprié par l’ensemble des alliés et naîtra ainsi l’ambition d’élaborer et d’approuver une Charte pour un Monde Responsable, Pluriel et Solidaire à l’occasion de l’Assemblée de Citoyens de la Terre.

1996 La rencontre mondiale de Barcelone

En deux ans, la dynamique a commencé à se structurer et à démontrer son intérêt. Une soixantaine de groupes se sont constitués ou sont en cours de constitution, principalement groupes locaux (notamment en Afrique francophone) et chantiers thématiques. Une nouvelle variété d’alliés s’impose tout naturellement au sein de l’Alliance : ceux qui consacrent un temps substantiel à l’animation de ces espaces de travail collectif. Il faut les réunir pour qu’ils se connaissent établissent des ponts entre eux. Au sein du groupe local de Barcelone, l’Association ECOCONCERN accepte de prendre la responsabilité de l’organisation de cette rencontre mondiale qui se tient en Avril 1996. La rencontre est l’occasion de confronter les avancées et les difficultés, de constater que la dynamique et les méthodes de l’Alliance suscitent de l’intérêt. A partir de l’expérience toute neuve, s’esquisse un premier cahier des charges de la création et du fonctionnement d’un groupe local ou d’un chantier.

Cette rencontre est aussi marquée par la naissance d’un débat qui se poursuivra au cours des années suivantes :d’un côté il y a ceux qui voient dans l’Alliance un mouvement social qui doit reproduire les méthodes et pratiques du monde associatif et syndical ; de l’autre ceux qui ont, au contraire, le souci qu’une forme nouvelle d’action collective et de réflexion internationale se mette en place. Les premiers veulent faire émerger séance tenante et au sein des participants à la rencontre de Barcelone des instances de direction, c’est-à-dire différents comités qui piloteront les diverses activités de l’Alliance. Les seconds, souvent en vertu de la même expérience associative, syndicale ou politique, voient dans cette institutionnalisation précoce un risque de détourner l’énergie de l’Alliance, vers les enjeux internes de son organisation.

1996 La position de la FPH vis-à-vis de l’Alliance

La rencontre de Barcelone impose une clarification de la position de la FPH à l’égard de l’Alliance. Ce que fait le Conseil de Fondation en novembre 1996. On peut retenir du texte qu’il diffuse quelques idées principales qui joueront un rôle décisif dans les années suivantes :
- la FPH assume la responsabilité d’accompagner l’Alliance financièrement jusqu’à la tenue de l’Assemblée de Citoyens de la Terre ;
- elle tient à ce qu’une Assemblée Mondiale vienne couronner les différentes dynamiques à l’œuvre, symbole de la possibilité de mettre en dialogue et en convergence les différentes régions du monde et les différents milieux ;
- elle considère la double nature de l’Alliance : à la fois mouvement social et "grand chantier" ;
- elle affirme que le pouvoir, dans cette dynamique, découle avant tout des initiatives prises par les uns et les autres et de leur capacité de convocation ;
- pour elle, l’Alliance doit être le reflet de la diversité du monde. L’engagement prioritaire de la FPH portera donc sur le développement de l’Alliance en direction des régions du monde et des collèges actuellement absents. Elle prend parti pour le volontarisme plutôt que pour le simple développement des dynamiques existantes. Elle aidera en priorité la "voie collégiale" la plus difficile puisqu’elle implique d’associer des milieux sociaux et professionnels peu représentés dans le monde associatif.

1996 Mille alliés, cent pays et vingt langues

L’annuaire de l’Alliance, malgré ses limites, mesure l’expansion géographique de la diffusion de la Plate-forme. Les premiers alliés venaient du réseau de partenaires de la FPH. France, Europe du Sud et Amérique Latine y sont dominants. Un gros effort a été entrepris pour élargir l’horizon. En 1996 passe le cap des mille alliés, des cent pays et des vingt langues de diffusion de la plate-forme. On est bien loin d’un mouvement de masse, d’une répartition équilibrée des alliés entre ces cent pays, d’une diversité suffisante des milieux concernés ou d’un reflet fidèle de la diversité culturelle de la planète. Néanmoins, l’Alliance devient un espace où l’on "réfléchit en vingt langues", avec tout ce que cela comporte de complexitéet de malentendus.

1996 Les outils d’information, véritable système nerveux des alliances

Au fur et à mesure que l’Alliance se développe et se diversifie, que groupes locaux, collèges et chantiers thématiques se mettent en place, il devient plus difficile, aussi bien pour les alliés que pour l’extérieur, d’en avoir une vue d’ensemble. La nécessaire prise en compte de la diversité et de la complexité ne va t-elle pas conduire à un échafaudage précaire ? L’Alliance n’a pas la simplicité d’un mouvement centré sur un objectif précis - l’environnement, le commerce, les droits de l’homme, les mines anti personnelles - permettant des mots d’ordre, des campagnes de sensibilisation, la mobilisation des médias. N’ayant pas de personnalité juridique elle n’a pas de porte parole et pas de visage. Elle ne crée pas d’événements médiatiques.

Au plan interne les alliés ont du mal à se relier entre eux et à se situer dans la dynamique d’ensemble. Ces difficultés nous font comprendre que dans une démarche d’alliance le système d’information n’est pas seulement un outil, c’est le véritable système nerveux de l’ensemble. Sa configuration devient essentielle. Mise en place d’un premier site web, création de la revue Caravane, brochure de l’Alliance à "vol d’oiseau" qui visualise l’ensemble des activités éparses sont autant de tentatives de mettre en place ce système d’information.

1997 La préparation d’une Assemblée Mondiale au Brésil

La rencontre de Barcelone, en 1996, nous a convaincu de la nécessité mais aussi de la difficulté d’organiser des réunions mondiales de l’Alliance. Au point que certains alliés en sont venus à douter de l’opportunité même de l’Assemblée de Citoyens de la Terre. Ils craignent qu’elle ne ressemble aux grandes conférences de l’ONU. En attendant, une seconde rencontre mondiale paraît nécessaire. Cela permet en outre à un groupe local d’en assumer la responsabilité. En 1997 c’est le groupe de Sao Paulo qui relève le défi avec la coordination de l’Association Polis. Il trouve sur place d’importants cofinancements pour l’organiser.

1997 L’organisation des chantiers autour de quatre pôle thématiques

La préparation de la rencontre mondiale conduit à confronter les chantiers thématiques de l’Alliance, tels qu’ils s’étaient définis en 1995, avec les préoccupations prioritaires des alliés des différents continents. Cette confrontation conduit à regrouper l’ensemble des chantiers autour de quatre grands "pôles thématiques" :

Le premier pôle est celui des représentations. Il concerne les valeurs (en particulier la Charte), la culture, la science et la technologie, l’éducation, l’art et les médias.

Le second pôle est celui de l’économie et de la société. Il concerne l’organisation sociale, les alternatives économiques, les modes de production, la consommation, la circulation des personnes, des biens et des services, l’argent, l’épargne et les marchés financiers. Ce second pôle se précisera les années suivantes.

Le troisième pôle est celui de la gouvernance. L’idée s’est en effet imposée petit à petit qu’il ne suffisait pas de promouvoir la citoyenneté, les droits de l’homme, le développement local ou la réforme de l’ONU mais qu’il faut refonder l’ensemble des régulations de nos sociétés du niveau local au niveau mondial.

Le quatrième pôle est celui des relations entre humanité et biosphère. Il reprend les chantiers déjà engagés sur l’eau, l’énergie, les sols, la biodiversité, l’éducation à l’environnement.

1997 Les alternatives prendront la forme de cahiers de propositions

La seconde rencontre mondiale offre une première occasion de faire le point sur la capacité de l’Alliance à concevoir et faire émerger des alternatives crédibles.

Nous proposons pour cela que les différents chantiers préparent des cahiers de proposition. Ces cahiers devront énoncer non seulement des objectifs souhaitables mais aussi les moyens de les atteindre et les acteurs impliqués dans leur réalisation. Ils devront aussi illustrer les propositions par des "fiches d’expériences". Nous sommes convaincus en effet qu’en de nombreux endroits du monde les sociétés innovent et inventent, à petite ou grande échelle, des alternatives. L’Alliance doit les identifier et à les relier. L’idée de "cahier de propositions" se précisera au fil des années.

1997 La rencontre mondiale de Bertioga

La seconde rencontre mondiale a lieu à Bertioga, près de Sao Paulo. Elle est organisée par les alliés brésiliens de Sao Paulo.

Qui inviter à Bertioga et sur quels critères ? qui choisit les participants ? Comment est assuré l’équilibre entre eux ? Trois thèses sont en présence : privilégier les animateurs des travaux collectifs, qui forment en pratique le premier cercle des alliés ; inviter ceux qui ont fait acte de candidature et sont prêts à faire une contribution ; inviter, au delà des alliés, des participants plus représentatifs de la diversité des milieux et des régions du monde. La rencontre de Bertioga garde la trace de ces hésitations. Par la diversité de ses participants, elle est un beau symbole de la diversité du monde mais une contradiction subsiste entre le programme de la rencontre, qui s’adresse à des alliés de longue date, et la nature des participants, qui, pour beaucoup, découvrent l’Alliance.

D’autres équilibres se révèlent également difficiles : entre les moments festifs et les sessions formelles de travail ; entre les objectifs propres de la rencontre et le légitime désir des organisateurs de valoriser localement cette rencontre internationale ; entre le travail en petits groupes et les échanges en plénière.

1997 Le devoir de mémoire

Les malentendus de Bertioga révèlent aussi l’importance, dans une dynamique collective de nature nouvelle comme celle de l’Alliance, de la mémoire et de sa transmission. Comment, en effet, assurer la continuité et la cohérence d’un système aussi complexe ? Par la clarté des méthodes et des calendriers avions nous répondu en 1994. Mais les nouveaux alliés ont besoin de s’approprier le processus et, pour cela, d’être en mesure de l’infléchir. Chacun, c’est bien normal, tend à considérer que l’Alliance débute vraiment au moment où il s’implique dans l’Alliance. Or la continuité du processus n’est garantie ni par des statuts juridiques, ni par une bureaucratie permanente, ni par une culture commune. Et peut-on parler d’une histoire de l’Alliance ? ou y a t il dès l’origine une multiplicité d’histoires, celle des engagements de chaque allié, celle qui l’a conduit un jour à se relier à d’autres dans le contexte de l’Alliance ? Si l’histoire du groupe de Vézelay, de la plate-forme, des premiers pas de l’Alliance est bien le fil objectif qui a conduit la FPH à s’impliquer financièrement depuis 1986, a-t-elle pour autant préséance sur d’autres histoires ?

Une chose est néanmoins certaine : la continuité du processus est essentielle. Elle doit s’adapter au fil des apports de chacun mais sans pour autant se dénaturer. Pour cela la transmission de l’histoire est indispensable.

1998 Le débat collectif sur les modalités d’animation et d’organisation de l’Alliance

La rencontre mondiale de Bertioga relance le débat sur l’animation de l’Alliance, entre ceux qui estiment que l’absence de personnalité juridique de l’Alliance est un état temporaire et qu’elle doit se transformer le plus vite possible en un mouvement organisé, doté de statuts, formé d’adhérents, disposant d’organes de décision et de sources autonomes de financement et ceux qui considèrent que la principale innovation de l’Alliance a été et doit rester de construire un espace de travail ouvert.

L’Alliance doit-elle agir comme un lobby pour peser sur les institutions en mettant en avant quelques propositions simples ou doit-elle être un lieu où l’on peut assumer la complexité des réalités et contribuer à l’émergence d’idées nouvelles ?

Pendant toute l’année 1998, nous cherchons à concilier les deux tendances en clarifiant les modalités de la prise de décision sans pour autant institutionnaliser l’Alliance. Nous cherchons à inventer les modalités de fonctionnement de cet "être collectif" qui n’est pas une institution mais est néanmoins structuré et durable.

Cet effort nous conduit à préciser les "fonctions" à remplir et à définir les organes collectifs capables de les prendre en charge.

Au cours de l’année 1998, plusieurs consultations collectives sont lancées auprès des alliés pour recueillir leur avis sur les projets successifs d’organisation. L’effort de formalisation des différentes fonctions à remplir révèle l’inévitable complexité de fonctionnement d’une telle dynamique internationale. Acceptée tant qu’elle est gérée de manière informelle cette complexité est rejetée par beaucoup d’alliés une fois qu’elle est explicitée car elle risque de consommer beaucoup d’énergie.

Face à ces réserves, il est décidé de désigner, par vote des alliés, une "équipe internationale de facilitation" (EIF) de 15 membres, susceptible de refléter la diversité de points de vue des alliés.

1998 "Ce que les mots ne disent pas" : une lecture interculturelle de la plate-forme

Depuis l’origine de l’Alliance, la plate-forme était le document de référence. Originellement écrite en français, elle existe en 1998 en vingt cinq langues. Beaucoup de traducteurs ont fait état de la difficulté de traduire certains concepts dans leur culture.

Edith Sizoo, alliée de Bruxelles, prend l’initiative d’un dialogue entre tous les traducteurs. Etalé sur près d’un an ce dialogue s’achève par une rencontre à Naxos, en Grèce, d’où sortira le livre "ce que les mots ne disent pas". Il passe au crible, sans concession, les concepts utilisés dans la plate-forme. Bon nombre d’entre eux comme "la gestion de la planète" ou la "responsabilité" résistent mal à une approche interculturelle. Le verdict est sans appel. Mais, si la plate-forme est à ce point liée au mode de pensée occidental comment expliquer que tous ces traducteurs qui le jugent sévèrement aient voulu la traduire et la diffuser ? parce que, disent-ils ils y ont senti un élan, un souffle et c’est cet état d’esprit, cette nécessité proclamée de se mettre en route ensemble dans le respect des différences, qui les a fait adhérer à la démarche de l’Alliance.

Depuis 1996, nous songions à mettre en chantier une deuxième version de la plate-forme. Les conclusions de Naxos nous y font renoncer. Suffisamment bonne pour avoir été le prétexte de l’Alliance, suffisamment imparfaite pour ne pas risquer d’être sacralisée, la plate-forme a rempli son rôle. D’ailleurs, au fur et à mesure que les chantiers se sont développés et que le cercle de personnes associées à l’Alliance s’est agrandi et diversifié le concept d’allié s’est assoupli. La plate-forme est une référence utile mais une référence parmi d’autres. Progressivement l’Alliance, en tant que dynamique de travail, prend le pas sur la plate-forme.

1998 L’Assemblée de Citoyens de la Terre sera un processus de deux ans et non un événement ponctuel

Au printemps 1998, il devient urgent de donner une forme opérationnelle à "l’Assemblée de Citoyens de la Terre", présentée dès le début comme une clé de voûte de l’Alliance mais dont la forme d’Assemblée Mondiale est contestée par une partie des alliés. La rencontre de Bertioga n’a pas permis de trancher. La symbolique d’une mondialisation citoyenne plaide en faveur d’une rencontre de personnes venant de toutes les régions du monde et de tous les milieux mais certains alliés continuent à craindre que trop d’importance soit accordée à un événement mondial ponctuel. L’idée s’impose progressivement de faire de l’Assemblée de Citoyens de la Terre un processus s’étalant sur deux ans, 2000 et 2001.

Au cours de ces deux années, des rencontres internationales à base géoculturelle, collégiale et thématique permettront de dégager des propositions qui viendront converger vers l’Assemblée Mondiale. Celle-ci sera un événement fort du processus mais vaudra aussi par "l’effet de calendrier" qu’elle aura contribué à créer. Le processus de deux ans pourrait aboutir à deux textes : "la Charte" et les "Stratégies pour le 21e siècle". Le calendrier mis en œuvre en 2000, 2001 est le fruit de ces décisions.

1998 La création de nouveaux organes de liaison

Jusqu’en 1997, une "lettre de liaison" en trois langues sert à donner chair à l’Alliance. Elle est complétée de loin en loin par un "vol d’oiseau" qui permet de visualiser l’ensemble des dynamiques collectives qui forment la nébuleuse de l’Alliance. La politique d’information est, de fait, restée très dépendante de la FPH vers qui convergent les circuits d’information. Beaucoup d’alliés sont convaincus de l’intérêt d’un système plus polycentrique et plus interculturel. Un allié de longue date, Philippe Guirlet, français installé en Inde, décide de relever le défi. Il crée la revue Caravane, éditée en Français, Anglais et Espagnol. Chaque numéro sera animé par un rédacteur en chef et un artiste d’un pays différent et comportera un dossier central, en général issu d’un chantier. La revue, gratuite dans un premier temps, financée par la FPH, est envoyée à tous les alliés et est diffusée depuis l’Inde. Le déménagement de son animateur en Espagne en 1999 ne changera pas substantiellement le dispositif.

Caravane s’impose rapidement dans le paysage de l’Alliance et prend son autonomie juridique, en l’attente d’une autonomie financière recherchée à terme. Parallèlement, des lettres de liaison régionales ou collégiales se créent : Butterfly Future en Asie, Claves en Amérique Latine, Interact pour le collège "jeunes" etc..

1998 La structuration des chantiers du pôle "Economie et société solidaires"

De 1995 à 1998 un ensemble de chantiers du deuxième pôle thématique de l’Alliance, le pôle "Economie et société solidaires" avaient été lancés mais sans coordination d’ensemble. Les chantiers "écologie industrielle", "marchés financiers et avenir de la monnaie", "tourisme durable" par exemple ont acquis une visibilité internationale. D’autres ont stagné. Le besoin se fait sentir d’une plus grande structuration de ces chantiers, pour être en mesure d’ici la fin de 2001 et l’Assemblée Mondiale de présenter un panorama d’ensemble des alternatives au modèle économique et social dominant. Un groupe de trois personnes - Marcos Arruda (Brésil), Philippe Amouroux et Jean Fraisse (France) - va s’y attacher.

Cet effort de structuration va conduire à l’identification de 15 chantiers. Il est aussi le signe d’un changement de rythme et de période dans l’Alliance. Après la période 1994-1997 où l’on appuie des dynamiques plus ou moins spontanées et où chaque chantier démarre avec son propre rythme et son propre style au fur et à mesure qu’une personne s’offre à l’animer, l’Alliance adopte maintenant une approche plus systématique où il faut veiller à couvrir l’ensemble des quatre pôles thématiques et à dégager systématiquement des propositions en vue de l’Assemblée 2000-2001. Cette évolution va se confirmer dans les années suivantes. Elle conduit à un format plus normalisé des chantiers et des tâches à accomplir, indispensable par ailleurs pour donner visibilité à l’Alliance.

1999 La conception de bases de données décentralisées

Jusqu’en 1999, la base de données principale de l’Alliance est l’annuaire des alliés. Il est géré par la FPH. Au fil du temps, quatre nécessités s’imposent : créer d’autres bases de données communes portant sur le contenu des travaux ; les administrer de façon décentralisée ; permettre leur consultation par Internet ; les utiliser pour nourrir le site web de l’Alliance.

Trois efforts de recherche développement sont pour cela initiés à partir de 1999. Ils débouchent en 2000 et 2001. Le premier effort, par Patrick Mevdek, concerne la gestion décentralisée de l’annuaire - coordonnée maintenant depuis le Brésil par Hermila Figuereido - et de l’agenda. Le second, par André Crisan, permet de gérer sur le site web les fiches d’expérience et les résumés de documents produits par les chantiers thématiques et les collèges. Le troisième, par Vincent Calame, permet de construire le "thesaurus cartographique" qui relie entre eux les thèmes abordés par l’Alliance.

1999 Le lancement des Assemblées continentales simultanées

En septembre 1999 se tient la première réunion de l’Equipe internationale de facilitation (EIF) à Barcelone (Espagne). Elle met à nouveau l’accent sur la nécessité de ne pas tout miser sur l’Assemblée Mondiale. Elle lance l’idée de quatre rencontres continentales simultanées qui se tiendront aux alentours du solstice de juin 2001.
Cette échéance sera désormais l’une des principales de l’Alliance. Chaque rencontre continentale aura son style propre, ses animateurs, ses étapes préparatoires. David Gakunzi (Burundi) prend la responsabilité de la rencontre africaine, Eulalia Flore (Equateur) celle de la rencontre Américaine, Siddartha (Inde) celle de la rencontre asiatique et Manola Rauss (France) celle de la rencontre Européenne.

La préparation de la rencontre africaine est particulièrement frappante : de Juin 2000 à Juin 2001, une caravane à géométrie variable fait le tour de l’Afrique.

2000 L’établissement d’un inventaire de l’Alliance

Le débat sur les orientations de l’Alliance impose de faire un tableau sans concession du développement de l’Alliance, à partir de l’analyse chiffrée des alliés, des chantiers et des collèges. Le résultat est contrasté.

Au début 2000 il est décidé de dresser un inventaire des alliés.

Le premier et important constat est que l’Alliance s’est depuis deux ou trois ans développée de manière multiforme. La signature de la plate-forme, donc "l’enregistrement" de nouveaux alliés, reste une des modalités mais elle n’est plus seule, ni même dominante. La plupart des animateurs de groupes locaux, de chantiers et de collèges se soucient plus de la dynamique effective de leur groupe que de l’enregistrement d’alliés. A contrario, une partie des alliés "officiels" se comporte en consommateurs d’informations plutôt que comme des foyers d’initiative.

Le deuxième constat c’est une relative stagnation de la progression quantitative des alliés officiels. Beaucoup de milieux sociaux et professionnels et beaucoup de pays sont faiblement représentés. Par contre l’Alliance a fait naître un grand nombre d’initiatives.

Pour prendre en compte cette réalité, nous devons élargir le concept " d’alliés " à tous ceux qui sont impliqués dans la dynamique collective quelles qu’en soient les formes.

2000 La recherche d’un équilibre entre les trois voies et le calendrier d’ensemble

L’Equipe internationale de facilitation (EIF) en 1999 a fortement privilégié la voie géoculturelle et les rencontres continentales.

Un débat s’engage. Une nouvelle réunion de l’EIF se tient à Bangalore en mars 2000. Un calendrier d’ensemble est établi, intégrant de façon équilibrée les trois voies et fixant à décembre 2001 l’Assemblée Mondiale.

L’équipe internationale de facilitation s’élargit pour pouvoir accueillir l’ensemble des animateurs des trois voies. Elle devient, avec près de cent personnes, un forum permanent où peuvent se débattre les différentes initiatives de l’Alliance.

Le dispositif opérationnel de coordination basé à Paris est renforcé. Un effort particulier est consacré au développement de la voie collégiale c’est-à-dire aux contacts avec les nombreux milieux peu ou pas représentés dans l’Alliance. Après quelques années où la diversité des initiatives et des modes d’approche a été privilégiée c’est, pour les années 2000 et 2001, l’unité du processus qui est prioritaire.

2000 La constitution d’un consortium d’éditeurs pour les "cahiers de propositions"

Le processus 2000-2001 crée aussi un effet de calendrier : les trois voies de l’Alliance doivent être en mesure de dépasser le stade de l’analyse ou de la dénonciation pour aller vers les propositions. Le principe des "cahiers de propositions", élaboré en 1997 pour la rencontre de Bertioga est repris et précisé par Michel Sauquet et Olivier Petit-Jean. La rédaction d’un tel cahier constituera, pour chaque animateur de l’Alliance, une des tâches communes. Mais cahiers de propositions en quelles langues et avec quelle diffusion ? Un consortium d’éditeurs associatifs se réunit à Barcelone (Espagne) en septembre 2000 et définit une stratégie commune, elle aussi marquée par le double souci de l’unité et de la diversité. Les cahiers de propositions seront édités en six langues - Chinois, Arabe, Anglais, Français, Espagnol, Portugais. Un effort sera fait dans chaque cas pour situer les propositions dans un contexte culturel spécifique de l’Assemblée Mondiale.

2000 Le lien avec d’autres dynamiques internationales

Nous avons toujours eu le souci que l’Alliance ne s’enferme pas sur elle-même.

La plupart des alliés sont impliqués dans d’autres mouvements associatifs, syndicaux ou politiques. Mais depuis 1988, nous avons cherché à être présents de façon plus collective dans différents événements internationaux. Même si, par nature, l’Alliance n’a pas de "délégués" à ces événements, le réseau international, la pratique du travail en commun et les réflexions collectives qu’elle représente lui donnent une consistance. Ces événements internationaux sont aussi pour les alliés l’occasion d’une découverte mutuelle et l’occasion de s’obliger à faire le point de leurs travaux. On peut citer à titre d’illustration la Conférence Mondiale sur la Paix (La Haye 1999), la Conférence Mondiale sur la Science (Budapest 1999), le Forum Mondial des ONG (New York 2000), la Conférence Internationale sur la Culture (Paris 2000), la Conférence Internationale sur la Coexistence humaine (Montréal 2000), le Sommet Social Mondial (Porto Alegre 2001), l’Alternative pour les Amériques (Québec 2001).

La contribution forte d’alliés au Forum Social Mondial permet de préciser les complémentarités entre le Forum et l’Alliance. Le Forum est avant tout le lieu de rencontre entre mouvements sociaux et entre expériences nés de la base. L’Alliance est un espace de travail où viennent se confronter les points de vue entre différentes régions du monde et entre les différents milieux ; elle est un lieu d’élaboration d’alternatives.

Bien d’autres événements internationaux, liés à des thèmes particuliers, sont organisés en lien ou par les chantiers. A titre d’illustration le Séminaire Est-Européen sur les sols (Prague 2000), le Séminaire International sur l’Energie (Assise 2000), le Séminaire Asiatique sur l’Ecologie industrielle (Manille 2001).

En octobre 2000, deux grandes rencontres internationales se sont tenues :
- le Parlement Mondial des Jeunes à Sidney (Australie, organisée conjointement par le collège "jeunes" et OXFAM Australie a réuni des représentants de 150 pays ;
- l’Assemblée mondiale des habitants, à Mexico (Mexique), organisé conjointement avec Habitat International Coalition (HIC) a réuni nos représentants de mouvements populaires urbains en provenance de 37 pays.

2000 Les premières grandes rencontres "collégiales"

Les "collèges", c’est-à-dire le réseau de personnes appartenant à un milieu social ou professionnel et acceptant de réfléchir aux responsabilités propres de ce milieu et à son point de vue spécifique sur les défis de la société mondiale sont, en 2000, à des degrés très différents de développement. Certains, comme le collège "jeunes" sont nés dès 1992 et se sont progressivement consolidés. D’autres, comme le collège "habitants" s’appuient sur des réseaux internationaux préexistants. Beaucoup d’entre eux, par contre, n’ont été esquissés que tardivement et ne constituent en vérité que des ébauches.

2001 L’Assemblée Mondiale de Lille (2-10 décembre 2001)

En août 2000, il a été finalement décidé d’organiser dans le Nord de la France, à Lille, l’Assemblée Mondiale de l’Alliance. De nombreuses considérations pratiques ont guidé ce choix : proximité des moyens logistiques de la FPH, capacités d’accueil, proximité de plusieurs grands aéroports internationaux. En outre, Lille a un noyau actif d’alliés disposés à organiser la mobilisation de la société locale autour de l’événement et a une grande tradition interculturelle, liée à son passé industriel qui en fait une terre d’accueil.

Le format et le déroulement de l’Assemblée ont été arrêtés en septembre 2000. Il ne s’agit pas d’une Assemblée d’alliés mais d’une Assemblée organisée à l’invitation de l’Alliance. L’enjeu - on pourrait plutôt dire le pari - est de convier à Lille 400 personnes qui soient le reflet de la double diversité, géographique et socioprofessionnelle de la société mondiale : 20 régions du monde de plus de 100 millions d’habitants chacune et 20 milieux à représenter de façon équitable. Défi considérable si l’on songe que les conférences internationales habituelles réunissent surtout des représentants des pays riches ou les représentants des Etats ou des personnes d’un profil très semblable. Tous les alliés sont invités à proposer des personnalités à inviter.

Le défi méthodologique n’est pas moins considérable : faire en sorte que chaque participant contribue, par un travail collectif de huit jours, à dégager des perspectives et à débattre des cahiers de propositions et des projets de Charte.

Le nombre de participants a été arrêté en fonction de cette double considération de diversité et de travail collectif. Il s’agira donc bien d’une Assemblée (400 c’est l’ordre de grandeur d’une Assemblée parlementaire) et non d’une simple conférence.


URL : www.alliance21.org/2003/article675.html
DATE DE PUBLICATION :24 mai 2001